Les Chroniques d'Arkhan

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Mes premiers Trolls

- Extrait -

omprends-tu, Corras, que si son corps avait été de pierre, j'aurais été soulagé. Mon arme se serait sans doute brisée, je me serais trouvé seul face à une montagne et je serais mort avec Corian. Mais non ! Il saignait, grognait, hurlait, saignait encore, titubant, toujours battu, jamais vaincu, et je faisais pleuvoir sur cette chose plus de coups qu'il n'en eut fallu pour tuer dix hommes.

e le dominais comme je dominais le débutant que tu étais quand je t'ai rencontré, mais toujours il me tenait tête. Alors je voulus écraser cette tête hideuse, amas de peaux et de poils d'où deux verrues luisantes me fixaient et guidaient ses énormes mains. Ses griffes longues comme le doigt cherchaient mon cou; cent fois déjà j'avais esquivé ces horreurs souillées de mille fanges. J'écrasai cette tête, tranchant le cuir moisi de son crâne, lacérant ses joues noires, l'ichor pourpre qui était son sang se mêlant bientôt de boue jaunâtre. Un tel monstre n'a pas besoin de cervelle...Puis ses mâchoires se brisèrent, et avec elles mes dernières peurs. Je me ruai sur lui, écartant son bras énorme d'un revers de ce qui restait de mon bouclier, et je lui martelai le crâne de mon pommeau. Je frappai sans relâche et il ne fut bientôt plus que pulpe nauséabonde. J'aurais vomi si je n'avais été enragé comme jamais...Il chancelait, j'allais l'abattre...

e fus projeté sur ma dextre et percutai un arbre. Je serrai de toutes mes forces la poignée de mon épée, l'air se mêla de vapeurs de mort...Tu connais ce goût doucereux, ces étincelles lugubres qui dansent devant les yeux. C'est à ce moment-là que l'adversaire doit donner le coup de grâce, c'est à ce moment-là que tu dois porter ta botte, ton meilleur coup, celui que tu travailles en secret depuis des années, celui que tu connais mieux que le rasoir ne connaît tes joues. Je ne feignais qu'à moitié l'épuisement, et nullement la douleur: la brute m'avait projeté avec une telle force que je ne doutais pas de m'être brisé l'épaule. Pourtant, l'image était là, parfaite malgré la douleur, j'étais prêt, il allait venir et j'allais le tuer. Mais il ne chargeait pas !

l me cherchait, il était aveugle ! Il était à moi. J'allais lui ouvrir le cou, l'empaler, le clouer à un arbre comme j'avais fait du grand flind qui avait tranché deux doigts à Corian, paix à sa lame. Doucement, les dents serrées, je me rapprochai, savourant le court instant qui précède la victoire. Même lui succomberait au plongeon vertigineux de l'acier adarien, l'aigle d'acier, mon coup de grâce favori, pour toi, créature.

l me regardait ! Sur ma première lame, Corras, il me regardait à nouveau ! Ses yeux étaient là, nouveau-nés horribles surnageant dans une mare de boue jaune et pourpre. Il plongea... "

e temps d'un battement de cœur, la stupeur bouscula ma détermination, mon acharnement me sembla dérisoire… puis mon être tout entier réagit pour me sauver. Je basculai à senestre, laissant ma lame lécher son flanc. Il ne la sentit même pas et poursuivit sa course de plusieurs pas avant de se rendre compte qu'il m'avait manqué. Rappelle-toi toujours que le troll est lourd et qu'il faut faire jouer son poids contre lui. J'eus tout le temps de me relever et de constater les dégâts: mon épaule dextre me faisait atrocement souffrir, mon bouclier n'était plus qu'un souvenir et ma victoire un lointain espoir. L'instant du choix était arrivé: se retirer, combattre, vivre, mourir? Lui aussi s'était arrêté et me faisait face, fier comme un animal, inconscient comme la pierre, et pour la première fois depuis longtemps, je sentis que mon adversaire ne me craignait pas. Il était sûr de sa force. Mon orgueil prononça la sentence: ce combat aurait un vainqueur. Tu le connais puisque tu me lis, mais sache que tout alors me désignait comme vaincu et que j'ai connu l'indicible instant: celui où il ne reste au combattant qu'à mettre en scène une mort digne de sa vie. La montagne du destin vint à moi. Je reculai. Il avança encore, mains en avant, avide de boire dans mon crâne le prix de sa victoire. Je feignis de trébucher, il s'abaissa, mon dernier sursaut vers l'arrière le força à chercher appui sur le sol et je vrillai comme un serpent: le fort de ma lame faucha son bras juste avant qu'il ne touche le sol et il chuta sur l'épaule. Dans l'instant j'étais sur mes pieds et je déchaînais un tourbillon d'acier sur ses jambes fortes comme dix troncs. Tu sais ma rapidité et mon endurance, et j'étais résolu à ne pas faillir avant que mon épaule ne trahisse ma volonté. Ses grognements m'en disaient assez sur sa rage ; la rage est la consolation des brutes, l'instinct du véritable combattant l'en préserve. À chaque fois qu'il voulait se relever, je me présentais à lui, juste à portée de ses griffes, et il fouettait l'air où je n'étais plus. J'étais alternativement fléau pour ses jambes et mouche pour ses yeux. Deux ou trois fois il se releva excédé (peut-être voulait-il se rassurer?) pour plonger à nouveau sur sa proie offerte…

on épaule était devenue dure comme le roc et me refusait maintenant tout service. Les soleils passés à m'exercer de l'autre bras me sauvèrent la vie et m'offrirent l'une de mes plus belles victoires. Ne l'oublie pas. Mes retraites successives nous avaient rapprochés de notre campement. Haletant, je parvins à glisser la main dans mon sac pour y prendre ma gourde, car je mourrais de soif, mais alors que je la portais à mes lèvres, le monstre meurtri se jeta sur moi, déchirant la gourde et me forçant à faire un bond en arrière… dans le feu! Mes hurlements durent achever de le convaincre de l'imminence de son triomphe et, les yeux écarquillés et fous, il me chargea tête baissée comme un troupeau de boves en panique. À l'instant où des flammèches se mirent à danser sur sa face hideuse, je compris. J'avais saisi la gourde d'eau-de-vie de Corian et non ma gourde d'eau de pluie. Dans le même instant je durcis ma garde, tombai en fente en arrière et pointai le sommet de son genou. Nos cris puis nos corps se percutèrent avec fracas, ma lame ploya sous le choc, j'eus je ne sais comment la force de guider ma pointe dans l'axe de son mollet et il fut lacéré de part en part jusqu'au tendon avant que ma pointe ne se plante net dans son talon. Je dus lâcher prise et parvins à amortir ma chute en roulant sur le côté. Je me relevai et toisai enfin mon adversaire: le feu rongeait ses jambes sanguinolentes et il ne pouvait plus se relever. La violence du choc m'avait brisé le pouce (pouvais-je en vouloir à ma garde qui me l'avait si souvent sauvé?) et je grimaçais de douleur, mais mes yeux scandaient ma victoire. Il tenta bien de se traîner hors du feu mais j'avais résolu d'en finir: le meurtrier de Corian n'aurait pas l'honneur de mourir debout. Je n'avais plus la force de tenir mon épée, et c'est tremblant de douleur que je saisis le brandon qui condamna ses yeux à l'obscurité. Ma dague chauffée au feu mit en même temps un terme à ses cris et à son existence.

e restai longtemps seul à pleurer toutes les douleurs de mon âme et de mon corps. Mille trolls morts ne me rendront pas Corian. Qu'importe…

insi le feu marque à jamais la chair du troll

insi le troll marque à jamais l'esprit de qui l'a combattu.

Extrait de "Mes premiers Trolls"
par Corben le tueur de Trolls

GAROU 2001