Archives publiques de DataLog. Secteur DNG-72
- Origine : Inconnue. Don anonyme non confidentiel.
- Support : Texte imprimé sur feuilles A4 papier blanc. 3 feuillets recto-verso.
- Récolte : 16/01/2507.
- Sikio : Aucun. Trouvé par Tensi, Bikira, dans le dortoir DataLog, glissé sous la porte.
- Lundo : Junalba Ukweli.
- Classification : SD4.
Cela fait maintenant un peu plus de deux semaines que tout cela s’est produit, et je n’arrive toujours pas à l’accepter, ni à le comprendre. Et à en parler avec les autres, je ne suis pas le seul. Je dois mettre mes idées sur papier car je ne sais pas si je divague encore ou si tout ceci est bien réel. J’aurais pu garder ceci pour moi, mais ayant compris que d’autres partageaient quelques-unes de mes réflexions sans oser l’avouer, je n’ai pas trouvé d’autre meilleur moyen que de faire ce don de manière anonyme. Je n’ai pas envie qu’on me prenne pour un fou, voire pire...
Je vous laisse, chers DataLogiciens, le soin d’apprécier mes réflexions et si possible de m’aider, de nous aider, à y voir plus clair dans une prochaine projection.
" Alea jacta est " comme ils disaient.
Tout d’abord, notre propre petite communauté : le secteur DNG-72. Durant la deuxième partie de l’année, depuis donc que le secteur est peuplé, nous n’avions eu qu’à regretter un envol, lors de notre arrivée. Même si cela n’aurait jamais dû se produire, je peux comprendre que les dangers encore inconnus avaient prélevé leur tribut sur notre communauté.
Regrettable mais probable.
Et puis il y eu cette fin d’année avec le Mémorial. Déjà en soi, ce sont des jours exceptionnels où l’heure est au bilan et aux espoirs, où les Veuves ont fort à faire tant les introspections peuvent amener bon nombre d’entre nous à se questionner sur tout ce que l’on fait – ou pas. Mais là, nous avons eu plus que notre lot d’événements extraordinaires.
D’où vient cette féerie ?
Tout d’abord ce qui semble être un groupe d’Insurgés s’est approché suffisamment près de notre outpost pour pirater le programme de pilotage en cours de Transark. Non seulement cela montre qu’ils sont tout sauf désorganisés, preuve en est la mise à mal du Trigone qui était resté sur place, mais qu’en plus ils étaient très bien informés. Comment peut-on organiser une telle mission dans un coin aussi paumé que chez nous, arriver au bon moment, à la bonne heure et repartir sans laisser de traces ? Cela demande une coordination avec des gens sur place. Qui les a aidés ? Pas moi.
Si j’ai bien compris, la mission de Transark faisait partie d’une mission de plus grande envergure impliquant d’autres secteurs et planètes. Je vais l’écrire quelques fois, mais le fait qu’au même moment était prévue notre mission d’exploration sur EXO-12 fut une coïncidence malheureuse. La majorité du Trigone était partie à ce moment-là. Et j’ai beau chercher, je ne vois pas de lien entre ces deux événements. Pas de bol.
Aucun.
Et puis il y eu ce « truc ». Le rebours comme ils ont appelé ça. Je sais que je ne dois pas vous le décrire. Toute l’arche l’a vécu au même moment apparemment. Pas les autres arches, juste nous. Ce n’est pas tant le fait de vivre comme un spectateur ce temps qui s’inverse puis qui reprend son vol qui m’a le plus foutu les jetons… Non, c’est le fait que rien n’a pu être modifié durant ce temps que l’on a vécu deux fois. Je n’ose trop me poser des questions sur ce que cela veut dire sur ma liberté, le destin – ou appelez cela comme vous voulez – mais j’ai comme l’impression que durant ces quelques secondes j’assistais au film de ma vie, impuissant. Et si ce n’était qu’à ce moment-là que je m’en rendais réellement compte ? Et si tout était déjà écrit…
L’horreur.
Que d’autres secteurs profitent d’un convoi de véhicules pour aussi lancer leurs explorations me semble envisageable mais que deux jours après ils reviennent avec des nombreux blessés et déplorent la perte d’autres des leurs me paraît en soi un événement supplémentaire difficile à digérer – même s’ils n’étaient pas de notre secteur. Un hasard de plus ? On m’aurait dit que le premier jour de l’an j’allais apprendre la mort d’une personne de VIG-12 et d’une autre de BNA-108, j’aurais ri jaune. Même si tout le monde s’était démené pour qu’on ait un Mémorial digne de ce nom, ce lendemain de fête avait un goût amer et le moral n’y était déjà plus. Pour gâcher la fête, il paraît même que de l’alcool avait circulé. Trop de choses, trop intenses et trop denses, ces dernières heures, trop vite.
Trop.
Et cela n’était que la goutte d’eau dans l’océan de nos tourments. Jusque-là je n’avais jamais vu un mort de ma courte vie, un vrai. Et c’est dans l’après-midi qu’on le découvrit, ce servant de VIG-12, égorgé, livide, immobile, reposant bêtement là dans les feuillages. Le temps qu’il soit emmené, la moitié de l’outpost l’avait vu. Merci le Trigone ! Une vision qui me trouble encore aujourd’hui alors que j’écris ces lignes pour m’en débarrasser.
J’étais encore en train de discuter avec un autre néoné de ce pauvre homme et du fait qu’un assassin rôdait parmi nous que, jetée en pâture à la communauté, l’annonce de la présence probable dans notre outpost d’une bombe électromagnétique s’afficha sur l’écran géant dans la Cantine. Je vomis mon fromage liquide et faillis m’enfuir. C’en était trop, même si j’apprenais plus tard qu’on ne risquait presque rien, sauf les « augmentés » et notre archotype. Là, comme beaucoup, j’ai dû aller voir une Veuve. Même elle semblait troublée et débordée. J’étais perdu. Tout ça en quelques jours seulement.
La peur.
De là, j’ai vécu la suite des événements comme anesthésié, un peu comme si tout cela n’était qu’un mauvais rêve, dont je me réveillerais un peu groggy. J’ai appris plus tard par les Veuves que j’avais été en état de choc, comme beaucoup, mais que j’avais continué à tenir grâce à un truc qu’elles m’avaient fait, je n’ai pas trop compris quoi. Bref, je livre ici ce dont je me souviens, de la façon dont je l’ai vécu. C’est venu comme une rumeur.
" Tu as lu tes iMails ? " " Aristote est attaqué ? " " Tu as vu le démiurge ? "
C’était la première fois que je recevais un iMail de l’Arcade. Et celle-ci demandait à tous les secteurs de couper l’alimentation des archotypes car un danger pouvait en sortir. Un peu plus tard la bombe explosait, grillant les circuits de l’archotype et aussi les gars du Secours qui se chargeaient de la désamorcer. Mais au moins ils n’étaient pas morts. Du coup, je ne sais plus quand on a perdu tous les signaux des individus dans la Console mais en tout cas cela s’ajoutait au désordre déjà bien présent. On en venait presque à en rire : " Coïncidence, je ne pense pas ! "
La fin de soirée fut l’occasion d’alimenter nos peurs en discutant de ce qui avait bien pu arriver à Aristote, de qui avait mis cette bombe chez nous et surtout de comment ils avaient fait. Tant de questions qui s’accumulaient et qui créaient chez moi un sentiment de confusion. Quels étaient les liens qui reliaient tout ceci, ou une partie de tout ceci ? Y en avait-il ? C’était quoi cette histoire de rebours causé par des faisceaux lumineux envoyés depuis les planètes de Khayyam il y a des siècles ? Pourquoi tout ça ? Et à quelle fin ? Je ne comprenais rien.
Perdu.
Au réveil, les premiers visages que je vis étaient en pleurs. C’est d’ailleurs le responsable de ma patrie qui vint me voir très rapidement et me l’apprit. Ça. Les 173.000 morts sur Aristote… En quelques heures seulement… Je suis resté là un temps incertain à me demander si je voulais vivre dans un tel monde. Si c’était la Source qui était à l’origine de cette attaque, ou si c’était autre chose. Mais quoi ? C’était si loin et pourtant si concret. Je n’en connaissais aucun mais pourtant ils étaient tous mes pairs, mes frères, mes sœurs… Et ils étaient morts.
L’écoeurement.
J’appris ensuite qu’on avait arrêté un traître, l’amiral Richthofen, qui avait aidé apparemment les Insurgés à faire leur coup quelques jours plus tôt. Cela semblait tellement secondaire et ne répondait pas à toutes mes questions. En plus, cela sonnait faux toute cette affaire. J’avais l’impression de faux-fuyants. Un peu partout. J’avais aussi manqué un référendum en pleine nuit qui nous préparait à nous défendre si je comprenais ben. Mais contre quoi ? Contre qui ? La seule chose dont j’aimerais bien me prémunir maintenant sont mes pensées et mes doutes. J’ai besoin d’exotropes. Des forts.
L’abandon.
Après ces événements, j’ai craqué. Médicamenté lourdement sur prescription des Veuves, les jours qui suivirent furent surmontables mais cotonneux. C’est comme si tout revenait dans l’ordre. Que la tempête était passée. L’archotype fut retapé grâce à des pièces amenées par VIG-12. L’archogénération était coupée volontairement mais la captation des signaux des individus était rétablie. La Console refonctionnait et avec elle nos habitudes et nos tâches quotidiennes. Cela faisait du bien de retrouver un semblant de vie, même si beaucoup avaient dû aussi prendre des exotropes pour surmonter tout ça.
Quand revinrent ceux qui étaient partis faire le tour des outposts du secteur quelques semaines auparavant, on put reparler de tout ceci. Ce fut comme une catharsis et cela fit du bien. On s’apprêtait à recevoir VIG-12 et BNA-108 chez nous pour passer des accords apparemment. D’ailleurs une bonne partie de notre Trigone était partie depuis quelques jours vers VIG-12 pour aller les chercher nous disait-on.
Beaucoup de choses restaient sans réponse et allaient évoluer pour le meilleur ou pour le pire. Mais au moins, on revenait à une situation locale plus calme. Beaucoup de choses avaient été ratées, des erreurs commises et ce fût le temps des grandes discussions et des promesses. Un sentiment de solidarité encore plus fort et une volonté d’être unis se dégagea de ces jours. Dans le secteur, mais au-delà également. Comme si on se préparait à des moments bien pires. Comme si tout ceci n’était que le début de la fin. Abattus, nous allions nous relever. Ce n’avait été qu’une conjonction de problèmes. Cela n’arriverait plus et j’allais me remettre de mes émotions. Tout le monde peut faillir, parfois.
« Errare humanum est »
Fin de retranscription.
En pratique :
- Quand : 1,2,3 et 4 novembre 2018
- Où : De Winner, Overpelt (Belgique)
- Combien : 195 €
- Nombre de participants : 100
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